Outils numériques hier, intelligences artificielles aujourd'hui : les nouvelles technologies de l'information et de la communication génèrent désormais en quelques secondes ici un résumé, là un diaporama. Pour un adulte, qui maîtrise depuis des années l'art d'écrire, de calculer, de résumer, bref de traiter l'information sous toutes ces formes, aucun souci : l'IA facilite et accélère le travail ; c'est un outil complémentaire qui peut être judicieusement utilisé.
Mais qu'en est-il d'une personne qui en est encore au stade de l'apprentissage ? Homo Sapiens se distingue des autres espèces par ses qualités d'espèce apprenante. Les neuroscientifiques insistent sur ce processus neurologique, lent et lourd, qui aboutit à l'acquisition de hautes compétences cognitives comme calculer, lire, écrire. Deux éléments nous semblent importants :
Les débuts d'un apprentissage sont fastidieux, le cerveau est en ébullition, le cortex préfrontal (attention) est particulièrement sollicité : quand un enfant apprend à lire, de nombreuses zones de son cerveau sont ainsi convoquées, l'enfant est proche de la surcharge cognitive ; ce n'est que progressivement, au fil des mois, que cette haute fonction cognitive se cristallise dans une partie du cerveau et que les zones activées, plus efficaces, mieux configurées, sont moins nombreuses (flèche verte du schéma). St. Dehaene parle de consolidation: le geste cognitif s'est automatisé, les connexions synaptiques, re.configurées, se sont solidifiées, libérant de l'espace de travail cérébral pour d'autres opérations.
De l'information non traitée reste du bruit, inutile et aussi vite oublié que perçu : le traitement de l'information passe nécessairement part sa transformation en connaissance et donc par sa reformulation. En d'autres termes, l'être humain est un être de signes, il a besoin de tracer des signes dans le chaos du monde, il a besoin d'organiser le monde pour le comprendre, le rendre intelligible et manipulable...
On devine aisément les méfaits d'une intelligence artificielle mal utilisée : générer un diaporama avec une IA ne permet pas à l'enfant de reformuler, de structurer l'information et donc de se l'approprier ; résumer systématiquement un texte avec l'IA est certes un gain de temps pour un geste rébarbatif aux yeux des élèves, mais empêche toute systématisation de ce geste cognitif extrêmement complexe.
L'IA n'est ni plus ni moins qu'un poison pour tout utilisateur qui la consomme sans développer parallèlement ses capacités cognitives...
L'école se retrouve donc face à deux impératifs :
Une éducation des élèves aux intelligences artificielles, leurs avantages, leurs inconvénients, mais aussi leurs méfaits, est désormais incontournable.
Une réflexion au sein des équipes éducatives afin de générer une stratégie dans l'introduction comme l'utilisation des outils IA en classe : quoi, quand, comment et pourquoi...
Oui... on pourrait bloquer ChatGPT !
Mais alors, on devrait bloquer Claude, Perplexity, HuggingChat, Gemini, CoPilot, sans compter tous les agents conversationnels que l'on ne connaît pas et qui surgissent chaque semaine, mais encore les applications qui ont recours à l'IA. Un jeu du chat et de la souris qui est sans fin, perdu d'avance...
Si bloquer n'est théoriquement pas impossible sur les ordinateurs de l'école, il l'est sur les smartphones des élèves, il l'est sur les ordinateurs de la maison.
On l'a vu, l'IA ne se réduit pas aux agents conversationnels ; combien de plateformes intègrent désormais des fonctionnalités IA sans même en faire mention ! Actuellement, les suites bureautiques intègrent déjà des fonctionnalités IA dans leur version gratuite...
Oui... on pourrait recourir à ZeroGPt !
Mais ces outils ont un coût
Ils n'offrent, qui plus est, que des prédictions de plagiat et encore, ils peuvent se tromper !
Par ailleurs, ils sont facilement contournables: les outils de paraphrase et de traduction permettaient déjà de tromper leur vigilance; sont apparus en masse des outils qui "humanisent"... hum... les écrits IA
A l'heure actuelle, les solutions s'avèrent donc très limitées...
Et si l'on en revenait au papier et au crayon ?!
Autant il peut s'avérer utile d'utiliser l'IA dans le cadre d'exercices ou d'évaluations formatives, notamment à travers des pédagogies qui structurent l'autonomie de l'élève (classes inversées, différenciées, autant il est nécessaire d'interdire à des moments précis l'usage en classe d'un outil IA.
Cette solution, pour autant qu'elle soit temporaire, conserve son intérêt.
Et si l'on variait les tâches certifiées?!
Trop souvent, celles-ci relèvent d'une certaine tradition où l'application et la synthèse l'emportent sur le transfert, le décloisonnement discplinaire, la créativité et la résolution de problèmes complexes.
A ce titre, les projets STEM et STEAM sont des voies royales à explorer pour les professeurs ...
Et si la production d'un objet était moins importante que le chemin parcouru?!
Le portfolio d'apprentissage, numérique ou non, collecte les traces d'élaboration qui mènent à une production. C'est à la fois un outil qui pousse l'élève à structurer sa pensée, réguler son action et la planifier dans le temps. Lieu d'échanges avec l'enseignant, le portfolio peut contenir plans de travail, grilles d'auto-évaluation et écrits secondaires (brainstorming, brouillons, etc.). Enfin, il peut contenir différentes étapes à franchir comme autant de sous-évalautions...
Autant de structures qui pourraient sinon prévenir un usage immodéré et stupide de l'IA par l'apprenant, du moins renseigner le professeur sur la qualité de son travail...
tfa, tfe, trop souvent tgv...
Et si l'on croisait les informations | évaluations, en amont et en aval d'un travail ?!
Tel est l'objectif de la triangulation des preuves d'apprentissage, une méthode développée par des pédagogues canadiens.
Cette méthode de croisement des informations | évaluations repose sur trois piliers :
Observations en amont, liées aux traces d'un portfolio, d'un journal de bord (brouillon, etc.)
Conversation en amont : échanges avec l'élève
Production : Défense du travail qui passe par la justification et l'explicitation.
Et si désormais la question était moins le plagiat que le degré d'interaction | collaboration entre l'assistant IA et l'apprenant ?
Un élève, qui recourt à un agent conversationnel pour chercher des informations qui l'aideront dans l'écriture de sa dissertation, plagie-t-il ? Stanislas Dehaene, en transférant à un SAI l'analyse des données récoltées lors d'une électroencéphalographie, ne demeure-t-il pas responsable des observations et des analyses qu'il nous propose dans ses ouvrages neuroscientifiques ?!
Bref, peut-être devrions-nous désormais examiner quels sont les différents usages de l'IA, lesquels sont permis en fonction des activités proposées:
Et si l'on encadrait les usages de l'IA à l'école, en classe et pour chaque activité ?!
Martine Peeters, comme d'autres spécialistes canadiens, insiste sur l'importance d'une charte au sein de l'école. Sans tomber dans un angélisme béat, elle propose que l'usage de l'IA
soit déterminé explicitement par chaque professeur pour son cours en général ou pour chaque activité
soit référencé par les élèves:
Pour ce qui est des travaux de longue haleine qui nécessitent un référencement, l'APA (American Psychological Association) préconise le référencement comme suit:
NomEntreprise, NomApplicationIA (versionDate), [modèle de langage], le lien
Ex: OpenAI (2024), ChatGPT (version du 14 mars) [Gpt4O]: https://chatgpt.com/share/67253e8f-803c-8013-9ca1-208df5ddcb3e
Si l'agent conversationnel ne génère pas de lien vers la conversation, il est recommandé d'inclure le prompt utilisé et la conversation dans une annexe du travail...